jeudi 2 janvier 2020

Viespe (3)


La mort venait fréquemment au cirque des monstres, mais Dragosi fit ce qu'il n'avait jamais fait auparavant. Il interrompit le spectacle pendant plusieurs jours et emporta le corps disloqué d'Irina dans le hameau des Carpates où il l'avait rencontrée. La consanguinité qui y régnait produisait un fort pourcentage de difformités. Et il fallait trouver un remplaçant.


   Arc-bouté contre le vent glacé, Radu traversa le terrain découvert et entra dans le village. Il consulta l'adresse qu'il gardait dans sa poche et demanda à quelques gens du coin de lui indiquer le chemin.
   — Tu es seule ?
   La femme exhalait un parfum de fruit, le désir insatisfait, la routine et la recherche angoissée d'autre chose.
   Il allait se l'envoyer.
   — Andrei est en voyage, il sera absent une semaine.
   Radu entra et ferma la porte.

   — Montre-les-moi, lui demanda-t-elle.
   Radu se dévêtit au-dessus de la ceinture, enleva les sangles et lui montra ce qu'elle était allée voir sous la tente. La femme inspira, bouche bée de saisissement. 
   — C'est incroyable... De près, elles sont encore plus incroyables... Tu ressembles à une araignée. Tu peux les replier ?
   — Je peux te piquer, si tu veux.
   — C'est ce que j'attends.
   Il baissa son pantalon, leva la jupe, enleva la culotte de la femme, jeta celle-ci sur le matelas et la pénétra. Elle gémit en sentant quatre petits bras qui lui entouraient les hanches et les côtes. Radu lui couvrit la bouche de sa main droite supérieure et lui assujettit le bras de sa main gauche normale.
   Elle paraissait aimer ça jusqu'au moment où elle se rendit compte que les deux autres bras droits de Radu lui pressaient le poignet gauche contre le lit. Alors elle comprit. Elle tenta de se débattre tandis que Radu lui mordait le cou avec application ; bientôt, elle cessa de se défendre. Elle accepta la mort et se vida peu à peu de son sang, tandis qu'il restait planté en elle, arrimé par ses six bras.
   — Mère... murmura Radu.


vendredi 26 avril 2019

La mort calme

Donne-moi la mort
mais pas une mort subite
sinon tu auras tort
en me tuant si vite
puisque je veux jouir
une mort tout petite
plûtot que de tomber
sans subir le doux rite
des mots licencieux
de la prêtresse ermite
qui me portent aux cieux
des vierges maudites.

samedi 5 janvier 2019

Viespe (2)


Irina était belle, mais elle ne pouvait abandonner le spectacle de la Feria. Une fine membrane prenait naissance dans ses hanches et enveloppait complètement ses bras. Dragosi, le patron du cirque, était en train de peindre la peau des ailes de la femme papillon avec de la peinture bon marché. Chaque semaine, il changeait de couleurs et de motifs, comme un enfant qui peint des soldats de plomb. À sa façon, il aimait Irina presque autant que Madalin. Mais, contrairement à celui-ci, il pouvait jouer avec elle. 
Radu préférait les femmes normales, mais Irina était différente. Madalin l'aimait. Alors Radu se mit à la courtiser. Et il fit quelque chose de plus : il lui donna espoir.
Ce soir-là, Radu mena Irina jusqu'à la falaise. Il drogua le vin de Dragosi et menaça de mort les autres monstres s'ils parlaient. Madalin, lui, ne put franchir la clôture. 
— Tu es née pour voler, Irina. Vole pour moi. Vole, et le monde t'admirera. Ensuite, tu pourras être normale.
Irina paraissait incrédule, mais Radu lut l'espérance dans ses yeux. 
— Vole, Irina, vole. 
Irina crut ce qu'il disait.

  Traduit de l'espagnol par Pierre Jean Brouillaud dans INFINI.

mercredi 26 décembre 2018

Viespe (1)

Radu avait six bras, mais ce n'était pas un monstre comme les autres. Lui, il pouvait sortir. 
Il se regarda avec complaisance dans le miroir de sa chambre : grand, robuste, cheveux châtain sans début de calvitie, tempes argentées et regard de celui qui cache quelque chose d'interdit. Il sourit et prit grand plaisir à faire encore jouer ses deux petites extrémités musclées pour ensuite les relier au tronc au moyen de deux sangles élastiques. La nuit était froide, parfaite. 
Il enfila sa vieille veste noire et quitta la tente du cirque. 
Comme toujours, Madalin se promenait sur l'esplanade extérieure. Le nain, solitaire, sortait de la séance du matin. Il ne s'éloignait jamais de plus de quelques mètres de l'enceinte.
 — On se dégourdit les jambes ? demanda Radu.
 — Fous le camp, Tarentule !
 — Pourquoi ne viens-tu pas avec moi ? Je te présenterai à quelques amies...
 Madalin trembla légèrement, mais il s'habituait à ce genre de propos. Radu fit encore un essai :
 — J'en connais une qui ressemble à Irina. Pour le double d'argent, tu pourrais...
 Madalin regimba puis poussa un glapissement sonore.
 — Cochon... tu... tu l'as... balbutia-t-il, et il avança vers Radu. 
Souriant, Radu continua à marcher, dos tourné, jusqu'à la clôture. Il savait bien où se trouvait sa limite. Il appuya un coude sur la clôture.
 Madelin recula en se balançant. Trop près du monde extérieur.
  — Les papillons devraient voler, Madalin.
 Radu se perdit dans la nuit.

Traduit de l´espagnol par Pierre Jean Brouillaud dans INFINI.

mercredi 1 août 2018

Zothique (mon essai de traduction)

ZOTHIQUE
© Clark Ashton Smith
© “Traduction” : Fermín Moreno González

Celui qui a suivi les ombres de Zothique
Et vu le soleil d´un rouge charbon oblique,
Dorénavant ne retourne à aucun terre d´hier,   
Plutôt il rôde une côte ensevelie
Où les cités s´écroulent dans le sable noir du mer
Et des dieux morts boivent du sel marin.

Celui qui a connu les jardins de Zothique
Où saignent les fruits fendus du bec du simorgh mythique,
Ne savoure aucun d´autre d´hémisphères plus verts :
Dans des arbres de hauteur inouïe,
Dans le crépuscule des années qui meurent,
Boit de l´amarante le vin.

Celui qui a aimé les filles sauvages de Zothique
Ne distinguera d´avec son amour le baiser vampirique,
Ni reviendra chercher un amour plus aimant :
Pour lui le fantôme cramoisi
De Lilith dès la dernière nécropole du temps
Se dresse amoureux et malin.   

Celui qui a navigué aux galères de Zothique
Et vu l´apparition d´étranges spires et pics,
Doit braver encore le typhon du sorcier déchaîné,
Et prendre le timon ainsi
Sur d´orageux océans perdus sous la lune changée
Ou le Signe mué par le destin.

vendredi 20 juillet 2018

Les larmes coulent




Les larmes coulent
si lentement
qu'on dirait qu'elles sont là dès toujours
comme la pluie qui caresse les vitres
comme le fleuve qui ruisele parmi les marnes
et peut-être
elles y resteront après tout
quand le sentiment mourra
et le rappel même.



© 1990 Fermin Moreno 

© Image : Dana Neibert

samedi 14 juillet 2018

Le talion convoité

Vous les ravageurs oisifs,
vous les pillards des naïfs,
soi-disant savants sans souci
dont un seul mot blasé suffit
pour m´avoir presque détruit
pas de pardon, point d´oubli
je vais attendre jusqu`à la nuit
pour étancher la soif de mon esprit
en buvant de l´étang cramoisi
débordant de votre sang maudit.